Bruno Cathala était sous les feux de la rampe à plusieurs titres ces derniers mois par rapport à ces dernières créations, et notamment Five Tribes qui semble avoir marqué le coche.
La thématique repose sur des tribus qui étendent leur influence afin de diriger le sultanat, mais derrière se cache un jeu très mécanique, presque abstrait.

Le jeu reprend le mécanisme de l’awele : A son tour le joueur choisit une tuile et prend tous les pions (appelés meeples dans le jargon) situés dessus, puis les égraine un par un sur les tuiles adjacentes. Sur la dernière tuile, il récupère tous les meeples de la couleur du dernier qu’il a posé. Il effectue alors l’action associée à la couleur des meeples récupérées (le nombre ayant une influence sur l’intensité de l’action) puis l’action de la tuile d’arrivée. Si un joueur retire les derniers meeples d’une tuile, il place un chameau dessus pour indiquer qu’elle lui appartient (elle rapportera des points en fin de partie).
Les actions des meeples permettent d’obtenir des cartes Marchandise, de marquer des points selon les tuiles adjacentes, de marquer des points en fin de partie, d’invoquer des Djinns ou d’assassiner d’autres meeples en jeu ou chez un adversaire.
Les actions des tuiles permettent d’ajouter des palais ou des palmiers (qui rapportent des points en fin de partie), d’invoquer les Djinns ou de récupérer des cartes Marchandise.
Ajoutez à cela un ordre du tour déterminé par une enchères bornée (les valeurs des enchères sont imposées et bornées). A deux joueurs, lors de la détermination de l’ordre du tour, chaque joueur place deux pions. Ce sont des points de victoire qui sont dépensés lors de l’enchère.
En fin de partie les joueurs marquent des points en fonction de nombreux paramètres : points des tuiles gagnées, point des Vizirs (meeples jaunes), collections des cartes Marchandise, palais et palmiers…

Voici un jeu qui m’a fait une forte impression. Dès la lecture de la règle on entraperçoit la richesse des choix. Non cela se confirme lors de la première partie, mais pire, on découvre de nombreuses autres subtilités tout au long des premières parties. En bref, il y a une courbe d’apprentissage intéressante dans ce jeu, qui joue en faveur de sa rejouabilité.
Les choix sont partout, et requièrent au préalable une bonne lecture du plateau, ce qui n’est pas évident lors des premières parties, et encore moins au premier tour. Pourtant de cette lecture dépendra beaucoup le score du tour, et donc le score final, ainsi que les opportunités laissées (ou non) à l’adversaire ensuite.
Outre les différentes actions octroyées par les meeples, j’apprécie particulièrement le concept des actions des tuiles, qui viennent agréablement compléter les stratégies.
On aurait pu croire que le simple mécanismes d’égrainage et le contrôle des tuiles aurait suffi. Mais on aurait obtenu un jeu moyen dont on aurait vite fait le tour. L’ajout des cartes Marchandise et des Djinns permettent d’augmenter les stratégies possibles et les choix. Bien vu !
Les nombreuses façons de marquer des points sont là pour tenter le joueur et le pousser à se disperser. Malin. Mais il sera impossible d’être partout à la fois (tuiles rapportant beaucoup de points, collections de marchandises, meeples jaunes et bleus…).
Enfin la placement initial aléatoire des tuiles et des meeples et les nombreux Djinns apportent au jeu tout ce qu’il faut pour une bonne rejouabilité.

Au niveau des sensations de jeu, on reste par contre dans un jeu plutôt abstrait et calculatoire. Le but est clairement ici d’optimiser ses tours en maximisant les gains tout en évitant d’avantager l’adversaire. Ce qui peut avoir pour conséquence de ralentir le rythme du jeu si un joueur réfléchit trop (phénomène connu sous le nom d’Analysis Paralysis).

Five Tribes est le type de jeu parfaitement taillé pour deux joueurs, avec un contrôle maximum et une multitude de possibilités et de combinaisons en enchaînant les tours. D’ailleurs, je salue la variante proposée : il est en effet plus malin de donner aux joueurs deux jetons d’enchère et de leur permettre de jouer deux fois par tour, plutôt que de donner deux couleurs par joueur, type de variante toujours compliquée à gérer et jamais bien probante en terme de résultat. Par contre, déjà qu’à quatre on pouvait craindre le syndrome d’Analysis Paralysis, il est encore plus présent étant donné les enchaînements possibles de tour et tous les facteurs à prendre en compte. Aux joueurs de trouver l’équilibre entre plaisir de jeu et optimisation des coups.

Au niveau de la réalisation, on ne pourra rien reprocher à Days of Wonder qui fait le sans faute avec un matériel irréprochable (fabriqué en Allemagne par Ludofact) et des illustrations qui aident à s’immerger dans le thème malgré le côté abstrait des mécanismes. Le seul petit reproche que je vois (parce qu’il faut bien chipoter un peu ^^), c’est l’absence de rappel du décompte des points de victoire ou de la répartition des marchandises sur l’aide de jeu (Note : après plusieurs parties, j'ai remarqué qu'en fait le nombre d'exemplaires d'une carte Marchandise est rappelé de manière très discrète sur chaque carte). Ce qui aurait été plus pratique que le déroulé d’un tour de jeu qu’on maîtrise avant la fin de la première partie.

Bruno Cathala excelle dans les jeux abstraits, plus mécaniques par nature, et Five Tribes ne fait pas exception à la règle. C’est même sans doute un de ses meilleurs jeux publiés jusqu’ici (avec la famille des Mr. Jack) grâce à sa courbe d’apprentissage, sa rejouabilité et ses nombreux choix. Je crains tout de même que son côté mécanique et un peu froid ne rebute certains joueurs, et que cela joue en la défaveur du jeu dans le temps (quand l’effet nouveauté sera passé et qu’il faudra choisir entre lui et un autre jeu).

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