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Questions à Patrice Ponce - Gérant de Lud'M

Patrice Ponce gère une boutique de jeux de société à Montpellier depuis octobre 2004. Je l'avais connu lorsqu'il était sur Lyon aux soirées Rêves de Jeux. Son éclairage d'une boutique qui débute me paraissait donc intéressant.

Bonjour Patrice, peux-tu te présenter rapidement ?

Je m’appelle Patrice, j’ai 35 ans et, il y a tout juste 2 ans, j’ai créé Lud’m à Montpellier avec ma compagne, Michèle, 37 ans.
Lud’m est une boutique intégralement dédiée aux jeux de société pas comme les autres, pour les petits et pour les grands.
J’ai souhaité faire en sorte que des jeux que j’avais la chance de connaître, puissent être également découverts par « Mr et Mme Tout le monde ». J’ai donc imaginé un concept ouvert et accueillant qui permettrait à chacun de rencontrer les jeux à son goût et dont jusqu’alors il ne soupçonnait même pas l’existence.
On ne trouve chez Lud’m que des jeux de société, pas de figurines ou de jeux de rôles et très marginalement quelques jeux de cartes à collectionner plutôt orientés vers les enfants ou le grand public.
Je voulais qu’on entre chez nous en étant à l’aise et sans avoir l’impression de pénétrer un univers réservé à des initiés, souvent sombre et étrange, qu’on associe généralement aux boutiques spécialisées.
Michèle a une formation d’expert comptable et s’est intéressée aux jeux par mon intermédiaire. Je suis, pour ma part, ingénieur informaticien de formation, spécialisé en Intelligence artificielle. Je suis immergé dans l’univers des jeux depuis la fin des années 70-début des années 80. L’époque dorée de Jeux & Stratégie y est sans doute pour beaucoup ! J’ai créé des jeux vidéo depuis 1981, comme un loisir tout d’abord, puis professionnellement à partir de 1992. J’étais responsable de la recherche et du développement jusqu’à une époque où Infogrames (Atari) était encore un solide n°2 mondial. Le manque de place laissée à la créativité dans le secteur m’a convaincu de retrouver l’esprit pétillant qui anime encore à l’heure actuel le domaine des jeux de société et que j’avais tant apprécié lorsque la création de jeux vidéo était encore une activité essentiellement artisanale…

Peux-tu nous préciser sous quel statut tu as créé ta boutique ? Et le capital investi ?

Lud’m a été créée en Entreprise Individuelle, même s’il n’est pas impossible que sa forme change prochainement pour passer en société. La mise de départ a été de près de 250 000 €, sans compter tout ce qui a été réinvesti par la suite pendant les 12-18 premiers mois d’essor.

Quelques chiffres-clés sur la boutique ?

Acquisition de la boutique : septembre 2004
Ouverture : mi-octobre 2004
Surface de vente : ~45 m2
Références en rayon : environs 1800 (500 à l’ouverture)
Pas encore d’employé, nous travaillons en couple.
Le chiffre d’affaire progresse encore régulièrement et fortement ; il nous faudra attendre d’approcher notre rythme de croisière pour qu’il devienne significatif…
Deux saisons forte : Noël et l’été. On joue lorsqu’on a le temps, tout simplement. Pas plus en mauvaise saison que lorsqu’il fait beau. D’ailleurs, les vacances scolaires sont très actives également.

La boutique est assez récente. Comment se sont passés tes débuts ?

Nous avons ouvert peu avant les fêtes de fin d’année. C’est un peu rude comme baptême du feu, mais c’est plutôt bon pour le moral ! Le début de l’année est lui plus morose…
Le plus encourageant a été de revoir des clients ouvrir la porte de la boutique juste pour nous dire le succès des jeux que nous leur avions conseillés.
Tout notre développement se fait grâce au bouche-à-oreille et à la satisfaction de nos clients. Bien sûr, notre emplacement est également très important : une rue de bon standing, passante, avec une fréquentation d’un public plutôt à la recherche de quelque chose de différent de ce que proposent les boutiques standardisées.
On peut cependant dire qu’après deux ans d’activité, je me sens toujours au début tant il y a encore à faire !

Est-il facile de se faire connaître quand on débute comme ça ?

Là encore, l’emplacement est un élément prépondérant. Nos tentatives de faire appel à de la publicité, mais bien ciblée, ont été vaines.
Rien ne remplace au final la satisfaction des clients et le bouche à oreille.

Et quel bilan tires-tu de cette période ?

Un conseil général à tout ceux qui démarrent une activité, tout spécialement dans le commerce des jeux. Il faut miser sur une progression lente et ne pas surévaluer sa capacité à se faire connaître. Il faut donc impérativement être prêt à tenir suffisamment longtemps sans tirer profit de son activité afin de pouvoir continuer à investir et progresser ainsi de manière sûre.

Quel regard portes-tu sur les boutiques en ligne ?

Pour la plupart, il ne s’agit que d’une guerre aux prix les plus bas ou bien d’un complément peu efficace à des boutiques physiques.
Les prix bas (déraisonnablement bas, en fait) n’ont de sens que lorsque ceux qui les pratiquent sont isolés. A l’ère du commerce équitable, je pense que ce genre d’approche n’est pas cohérent et mène à une impasse.
Quant à proposer un catalogue en ligne de sa boutique physique, c’est vraiment très limité et peu efficace.
Survivront ceux qui se démarqueront par la qualité de leurs services…

Et les boutiques en ligne allemandes, dont certaines n'hésitent pas à pratiquer des prix discount ?

Elles poussent à l’extrême le raisonnement que j’ai explicité précédemment. Au moindre accroc, les plus faibles trépasseront. Les autres sont dans une situation de risque permanent…
Je ne pense pas qu’elles nuisent énormément à l’activité des boutiques physiques, mais elles sont tout de même désastreuse pour l’image des jeux : les prix pratiqués sont sans rapport avec les réalités du commerce.
Les marges correspondant aux prix publics conseillés ne sont pas excessives et il est illusoire d’espérer vivre convenablement dans la vente des jeux de société à des prix inférieurs. C’est déjà un défi suffisant comme cela et je conseille à ceux qui veulent faire fortune de travailler les articles de décorations, les chaussures ou la mode…
Au final, les amateurs de jeux eux-mêmes y perdront car si les différents intervenants du jeu ne peuvent vivre convenablement de leur activité, c’est par réaction en chaîne tout le secteur qui s’appauvrira…

Quel regard portes-tu sur les boutiques "physiques" (qui ne sont pas sur internet) ?

Elles sont encore trop nombreuses à reposer sur un public d’initiés. L’avenir appartient selon moi à ceux qui, de plus en plus nombreux heureusement, s’ouvrent réellement au grand public…
Sinon, il est vrai que je ne les fréquente plus vraiment depuis la création de Lud’m ! Par contre, nous sommes en relation constante, quelques uns de mes collègues et moi, au sein d’une association qui regroupe des boutiques qui mettent en avant les jeux de société. Cela évite de se regarder un peu trop le nombril…

On considère que les boutiques doivent leur survie aux JCC, est-ce vrai ?

En tous les cas, beaucoup ont surfé sur l’âge d’or des jeux à collectionner. Ceux qui ont pu en profiter de cette ère fantastique ont parfois oublié le sens de l’effort et peuvent être en déphasage avec de nombreux joueurs qui se sont révélés ces dernières années. Il leur faut maintenant savoir se remettre en question.

Et dans le contexte actuel où les ventes de JCC faiblissent, comment cela se passe-t-il ?

Je ne suis pas concerné, car je ne présente quasiment pas de JCC. Pour les autres boutiques, il va leur falloir voir si c’est bien le jeu qui les motive et s’ils sont près à faire l’effort d’évoluer.
Maintenant, je ne sui pas placé au mieux de la baisse des ventes de JCC…

Comment vois-tu l'évolution actuelle du marché du jeu ? Et du public ?

Mr et Mme « Tout le Monde » sont de plus en plus joueurs et les jeux sont de plus en plus grand public. Cette rencontre laisse à penser qu’il y a une vraie place pour le jeu dans notre société et pas seulement pour les jeux virtuels…
Il est cependant bien difficile de suivre la multiplicité des sorties tout au long de l’année…

Cela a-t-il un impact sur ta politique des prix ?

Les prix pratiqués doivent être à la rencontre du prix raisonnable pour tirer un revenu de son activité et du prix que les clients sont prêts à payer pour obtenir le jeu. Comme en général, l’éditeur conçoit le jeu pour atteindre un certain prix public, il n’y a pas vraiment à être créatif pour une boutique lorsqu’elle établit ses prix. La question est plutôt de juger si le prix que l’on doit pratiquer pour un jeu est compatible avec la valeur que pourra lui accorder le client. Si on en doute, mieux vaut éviter de référencer le jeu…
Il est toutefois remarquable de constater que même pour un tout petit prix (de moins de 10 € par exemple), les clients sont prêts à revenir plusieurs fois et prendre beaucoup de conseil avant de décider. C’est comme si on n’avait pas le droit à l’erreur quand on choisit un jeu…

Devant une concurrence accrue, comment arrives-tu à attirer de nouveaux clients ? Et à les fidéliser ?

Il faut être sans faille sur le choix de jeux proposé, sur leur connaissance et surtout sur notre capacité à trouver le conseil qui fera choisir le bon jeu. Même lorsqu’on notre clientèle n’a absolument pas conscience elle-même de ce qu’elle recherche !
Moyennant cela et avec un bon accueil, le temps et la réputation font le reste.
Pour les fidéliser, il faut continuer à être sans faille !
Je pense être dans le vrai sur ce sujet, car je suis placé dans une situation de concurrence extrême avec une boutique très proche. Malgré tout, je me développe bien…

Devant le nombre très important de nouveautés par an, comment gères-tu les stocks, et notamment celui des nouveautés ?

A moins d’avoir de profondes certitudes, l’abondance nécessite la prudence. Mieux vaut démarrer prudemment les nouvelles références et appuyer par la suite si les premières impressions étaient les bonnes… J’ai déjà trop vu de bonnes idées a priori se révéler être de petits fiascos dans la pratique…
L’idéal serait que les éditeurs consultent les boutiques pendant leurs processus de décision pour éviter que certains jeux se révèlent sans avenir…

Quels sont pour toi les jeux qui représentent des valeurs sûres ?

Ceux qui sont réellement aboutis : une véritable originalité pour les différencier, des règles limpides et complètes, un matériel ergonomique et séduisant et un prix en rapport avec le matériel…
Les valeurs sûres sont en résumé celles qui sont réellement capables de rencontrer leur public : pas besoin que le jeu se vende à plusieurs centaines d’exemplaires par boutique pour être une valeur sûre. Il suffit ensuite que les joueurs se fassent réellement plaisir avec, au point de pouvoir ensuite le recommander atour d’eux : au final ce sont les jeux qui perdureront…

Un petit top 5/10/15 des ventes de ta boutique ?
Et un "Flop 5/10/15" ? Et les raisons de l'échec de ces jeux ?

Je trouve l’idée de faire un top un peu artificielle, comme lorsqu’on me demande un jeu « sympathique » ou bien ce qui marche en ce moment : c’est une question très subjective, comme quand on me demande mes préférences…
Je répondrai donc pêle-mêle qu’il y a des valeurs sûres, best-sellers ou long-sellers, comme Jungle Speed, les Loups-Garous, Wanted, Munchkin, La Danse des Œufs, Les Aventuriers du Rail, Carcassonne, le Bal masqué des Coccinelles, Pique Plume, Monte Rolla ou le Verger (c’est pêle-mêle, j’avais prévenu !).
Il y a aussi des déceptions, car prometteurs a priori : Amazone, Mission Planète Rouge, Key Largo, Barons… Dommage, j’en attendais mieux…

Quels conseils donnerais-tu à quelqu'un qui souhaiterait se lancer maintenant ?

Je lui demanderai d’être sûr de sa motivation : les efforts sont parfois disproportionnés par rapport au retour. Et puis, on passe bien plus de temps sur des tâches ingrates qu’à jouer : ça peut être très frustrant…
En plus d’être « passionné », il faut également savoir se mettre à la portée des clients, aller au-delà de notre vision subjective.
Enfin, il ne faut pas lésiner sur les moyens : rien ne serait plus terrible que d’avoir un potentiel à développer, mais pas les ressources pour le faire !

Un petit mot pour conclure ?

Faites jouer vos amis, faites jouer autour de vous. Ils vous en seront reconnaissants et finiront peut-être par vous surprendre à leur tour en vous faisant découvrir de nouveaux jeux !

 

Interview réalisée par mail en septembre 2006

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